Oraison Funèbre de Messire François de Lascaris D'Urfé

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This is an oration delivered at the funeral of François D'Urfé, one year after his death, as his body was buried under the floor of the chapel of the Hopital Hospice in Bâgé-le-Chatel.

This printed copy of the original text was presented to the town of Baie-D'Urfé by the town of Bâgé-le-Chatel. Photos of this leather bound copy can be seen further down in the references section.

The original text is in French and Latin. The text contains from page 14 onwards some information about his time in Canada. At the moment there is no English translation but google translate can be used to get a very rough translation of the text.


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Oraison funèbre
de Messire
François de Lascaris d'Urfé.

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Oraison funèbre
de Messire
François de Lascaris d'Urfé
prebstre, abbé de l'abbaye Royale
de St-Pierre d'Uzerche en Limosin,
prononcée dans l'église de l'hôpital
de la ville de Baugé, en Bresse
le 26 Juin 1702
par Mre Antoine Guillemaud
Docteur en Ste théologie, potre curé de la dte ville
et Directeur de son hôpital
avec permission de Monseigr de la Poype
comte de Lyon, vicaire général de l'archevesché
du dt Lyon, et nommé
par le Roy à l'Evesché de Poictiers.

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Oraison funèbre
de Messire François de Lascaris d'Urfé
pbtre abbé de l'Abbaye Royale
de St-Pierre d'Uzerche en Limosin
prononcée dans la chapelle de l'hôpital
de la ville de Baugé en Bresse
le 26 Juin 1702.


In fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum.
Ecclesiastiq, cap. 45.

Dieu l'a sanctifié dans sa foy et dans sa douceur.
au 45e chap.de l'Ecclésiastique.

Voilà, messieurs tout ce qui nous reste de messire François de Lascaris d'Urfé, très digne prestre, abbé de l'abbaye royale d'Uzerche, que nous honorons aujourd'hui dans la pompe funèbre qui nous assemble dans ce st lieu; c'est un triste, mais précieux souvenir de ce qu'il a esté aux yeux de Dieu par sa foy et par sa piété et aux yeux des hommes par sa charité et par sa douceur.

Le St Esprit nous en fait le portrait par ces paroles de mon texte, comme d'un autre Moïse plein de

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foy et de douceur, in fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum (1).

C'est Mrs, sur ce beau plan que je dresse l'éloge funèbre de nostre illustre abbé, ne trouvant rien de plus glorieux pour luy que de vous le faire voir parfaitement rempli de ces deux grandes vertus, qui ont fait son caractère et l'ouvrage de son salut.

Pour m'acquitter de mon ministère dans la chaire de vérité, selon les règles de l'Evangile, je ne dois point faire icy un éloge profane, mesler l'esprit du monde avec l'esprit de religion, donner des louanges à des fausses vertus, ny attribuer à la prudence humaine ce qui n'est deubt qu'à la grâce de Jésus-Christ; je viens Mrs vous annoncer avec St Paul que tout finit par nous conduire à Dieu qui ne finira jamais, je viens vous faire voir par cet éloge que nous devons tous mourir une seule fois (2) et nous préparer tous les jours à bien mourir. Les tristes dépouilles de cet illustre deffunct, les larmes de ceux qui le pleurent et que le temps ne peut consoler, cette chapelle ardente, cette épitaphe, ce tombeau où repose ce précieux dépost, le prestre qui offre avec dévotion le St Sacrifice de la messe pour son anni - versaire, ces chants lugubres, ce nombre des pasteurs, ce concours de peuple, cette tristesse généralement répandue sur vos visages, après tant de jours d'une mort si affligeante, tout cela me parait une marque sensible

(1) - Eccl. cap. 45
Ces indications de sources sont en marge sur le mss.
(2) - Statutum est hominibus semel mori - Ebebr. cap.9.

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de nostre douleur et une preuve certaine que le monde n'a rien de solide, qu'il n'est qu'une figure (1) qui, dans Je sentiment de l'apôstre, passe comme l'ombre.

O vanité déplorable des choses humaines ! Ce orand homme aussi sainct par sa piété qu'illustre par sa naissance, que nous avons vu il y a peu de temps dans cette ville attirer sur soy l'attention et les regards de tout le peuple, animer par sa présence, par ses exhortations, encore plus par ses exemples toute nostre piété et toute nostre religion, nous a enfin esté enlevé par une mort regrettée de tout le monde (2). Dieu l'a ainsy permis pour punir nos pêchés et pour récompenser ses vertus.

François de Lascaris d'Urfé n'est plus qu'un peu de cendre et de poussière; vous ne le verrez plus avec cet air de grandeur, cette âme si noble et si généreuse, cette inclination si bienfaisante, cette bonté et cette douceur qui charmait, qui inspirait tant de confiance à ceux qui avaient l'honneur de l'approcher et qui gagnait tant de coeurs à Dieu.

Il ne paroytra plus dans ce lieu où vous l'avez veu tant de fois embrasé de zèle et de charité pour vostre salut.

(1) - Preterit enim figura hujus mundi - Ad. Cor. cap.7.
(2) - Raptus est ne malitia mutaret intellectum ejus - Sap cap. 4.

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Mais si les hommes, en eux-mesme et sans rabbort à Dieu, ne sont que des objects dignes de compassion et de mesprit, ces mesmes hommes considérés dans les desseins de Dieu et dans les principes de la foy brennent des caractères admirables d'élévation et de grandeur.

Il ne faut donc plus considérer nostre illustre abbé dans les ténèbres et les horreurs du tombeau, mais dans la lumière de la gloire et dans le sein de Dieu où nous espérons qu'il a esté receu après sa mort; il ne faut plus le regarder dans les tristes dépouilles de son corps mortel, mais dans la vive splendeur de ses vertus immortelles, dans cette dévotion si tendre et si édifiante, dans ce zèle si ardent et si agissant pour tout ce qui concernait la gloire de Dieu et le soulagement du prochain dont vous avez esté les témoins.

Vous l'avez veu indulgent à tout le monde, sévère à soy-même, vivant sur la terre et conversant dans le ciel. Je vous le ferai voir aujourd'huy dans son esprit et dans son coeur, dans son esprit, plein d'une foy vive, dans son coeur, plein d'une charité ardente.

C'est ainsi que Dieu l'a sanctifié par sa foi et par sa piété. Il l'a sanctifié par sa charité et par sa douceur, in fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum. Encore une fois, Mrs, voilà tout ce qui nous restera éternellement de ce grand homme (1) et si cette idée demeu-

(1) - In memoria aeterna erit justus - Psal. III.

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re vivement imprimée dans nos esprits et gravée dans nos coeurs, elle nous tiendra lieu en quelque manière de sa présence, c'est-à-dire qu'elle nous instruira et nous édifiera toujours; commençons :

1ère Partie

Je vous avoue, Mys, que je n'aurais jamais entrepris l'oraison funèbre de Monsieur l'Abbé d'Urfé dans une compagnie si célèbre, si je n'y avais été enga - gé par la prière des peuples, par la bonne odeur de ses vertus et par le reconnaissance que je dois à sa mémoire.

Il mérite d'autant plus d'estre loué après sa mort qu'il s'est humilié davantage pendant sa vie (1). Il nous a souvent dit que le plus grand des héros est inférieur au moindre de tous les saincts et qu'il vaut bien mieux estre le dernier dans la maison du Seigneur (2) que le premier dans la cour des princes. C'est dans le sentiment d'une si profonde humilité qu'il s'est sanctifié dans sa foi, in fide ipsius sanctum fecit illum.

(1) - Qui se humiliat exaltabitur - Math. cap. 12
(2) - Elegi abjectus esse in domo mei. - Psal. 83 -

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Quand je parle de la foy de François de Lascaris d'Urfé, je n'entends pas une foy morte (1), la foy de la plupart des chrestiens qui captive leur raison sans assujettir leurs passions, je parle d'une foy vive, de cette lumière surnaturelle que Dieu répand dans nos âmes pour le connaître et qui non-seulement nous éclaire, mais qui nous inspire, nous excite, nous échauffe et nous transforme en luy; je parle de cette foy divine que les Sts pères appellent une lumière qui nous fait des Dieux. Deificum lumen.

Dès que nostre illustre abbé eut connu la grandeur de Dieu, il l'adora d'abord. Il n'a jamais connu sa bonté sans l'aimer; il n'a jamais considéré sa justice sans la craindre; il n'a jamais connu ses desseins et ses volontés sans les suivre. C'est, Mrs, cette foy qui l'a tiré des pièges et des dangers de ce monde où se trouvent ordinairement engagées les personnes de sa qualité.

Elevé dès son enfance au milieu de la plus belle et plus florissante cour du monde soubs le nom de marquis de Baugé, sorti de la maison de Lascaris d'Urfé (2) qui est l'une des plus illustres et des plus anciennes familles de l'Europe, qui compte parmy ses ancêtres des ambassadeurs, des gouverneurs et des généraux d'armées, d'une famille descendue des empereurs, alliée aux Roys et aux princes, d'une famille autant dis-

(1)- Fides sine operibus mortua est. - Luc. cap. 2.
(2) - L'illustre et ancienne maison de Lascaris d'Urfé.

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tinguée par l'éclat de ses vertus que par la grandeur de sa naissance, d'une famille qui laisse à la postérité des monuments éternels (1) de sa piété et de sa religion par la fondation du couvent des religieux de St-François de la Bâtie en Forest et du dévot monastère de Ste-Claire de Montbrison qui se soutient de plus en plus par l'exemble de quatre sainctes religieuses de cette illustre mai - son, dont il en reste encore aujourd'huy deux qui font tout le bonheur de ce monastère par la pratique édifiante des vertus les plus nobles et les plus parfaictes et par l'union et la conversation continuelle qu'elles ont avec Dieu, ce qui fait qu'on les y regarde dans le senti - ment de St-Paul (2), comme des anges sur la terre et des cytoyennes du ciel, d'une famille qui a donné à l'Eglise des grands maistres de Malte, des abbés et des évesques, il n'y avait nom de si élevé dans le monde à quoy François de Lascaris d'Urfé ne peût aspirer. Tout flattait son ambition, tout excitait ses espérances, tout le portait à se laisser entraîner au tourment du grand monde; mais la foi vive qu'il eut des vérités éternelles luy fit fouler aux pieds toutes les vanités et toutes les grandeurs de la terre. C'est Mrs, cette mesme foy qui lui fit connaistre que la figure du monde (3) pour estre

(1) - Le manuscrit porte en marge : Fondation du couvent de St-François de Labastie en Forest et du dévot monastère de Ste-Claire de Montbrison par l'illustre maison d'Urfé.
(2) - Cor. 7.
(3) - Proeterit enim figura hujus mundi. - Cor. cap. 7.

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blus esclatante à la cour des princes n'en est pas moins dangereuse pour le salut.

Sur ce principe il suivait la voix de Dieu qui luv dit comme au patriarche Abraham : Sors de ton pays, éloigne-toi de tes parents, egredire de terrà tuâ et de cogitatione tuâ (1). Il quitta la cour dans un âge où il en pouvait goûter tous les plaisirs et ayant pris congé du Roy, il alla se jeter dans une sainte retraite pour y apprendre à servir le monarque du ciel. Lors, pour en venir là il fallait que notre illustre abbé fût pénétré de cette foy vive dont Dieu faict les saints, in fide ipsius sanctum fecit illum.

La retraite qui servit d'abord d'asile à ce nouveau serviteur de Dieu fut le fameux séminaire de StSulpice de Paris où l'on apprend l'art de devenir sainct et savant tout ensemble, où l'on sçait joindre à la pureté des moeurs la morale la plus pure de l'évangile et d'où comme d'une sainte pépinière l'on retire presque tous les sujets destinés à remplir les premières dignités de l'Eglise.

C'est dans cette sainte maison où il cultiva pendant plusieurs années les précieuses semences que la foy avait jetées dans son âme, c'est là où il puisa cette plénitude de la lumière dont il nous a fait part et où à l'exemple du souverain du monde, il pratiqua longtemps ce qu'il devait enseigner aux autres, coepit facere et

(1) - Genes. cap. 12.

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docere (1). Convaincu que l'évangile de Jésus-Christ serait presché dans tout l'univers et désirant avec ardeur accomplir cette prophétie à l'égard des peuples et des nations barbares où le nom du vray Dieu n'estait pas connu, il résolut de l'avis de Mr l'abbé Frousson, supérieur général de St-Sulpice et son directeur, de porter la foy de Jésus-Christ comme un flambeau divin dans l'Amérique et particulièrement dans le Canada qui comprend aujourd'hui plus de huit cents lieues de pays capable de former le plus grand royaume du monde.

Il disait souvent avec St Jérôme qu'il n'y a rien de plus grand n'y de plus glorieux que la conversion du Nouveau Monde, nihil proeclarius aut gloriosus quâm totiùs novi orbis conversio, et qu'il estait prest d'exposer mille fois sa vie pour convertir les barbares, les Hurons, les Iroquois et les sauvages.

Ne croyez pas Mrs que ce fût un esprit ou de chagrin qui luy fit quitter son pays pour aller dans des nations étrangères; non, non, ce fut une foy vive, une foy divine qui animait son esprit qui le fit agir pour la gloire de Dieu et qui l'obligea de quitter ses parents, ne regardant plus d'autre pays que celuy où la volonté de Dieu l'appelait et où il peût rendre de plus grands servi - ces à Jésus-Christ. Rien au monde ne fut capable de luy faire changer un si pieux dessein.

Rappellerai-je icy, Mrs, les prières, les larmes et les soupirs d'un père et d'une mère qui l'ai

(1) - Act. cap. 1.

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maient si tendrement et qui le regardaient déjà comme me victime destinée à une mort qu'il allait chercher jusques aux extrémités du monde ? Qui pourrait exprimer le grand fond de religion qu'il témoigna à la triste séparation de tant de parents et d'amys qui l'honoraient infiniment ? Il quitta tout comme les apôstres de JésusChrist (1), il renonça à l'amour propre, à tous senti - ments humains, aux plaisirs, aux honneurs et aux richesses du monde; il se contenta pour tous biens d'un crucifix qu'il reçut à ce dernier adieu de madame la marquise d'Urfé sa très honorée mère, avec tout le respect et la vénération qu'il devait à un gage si précieux de l'amour de cette dame, que tout le monde sçait n'avoir estée moins illustre par sa piété que par sa naissance. Il porta ce crucifix sur son coeur jusqu'au dernier moment de sa vie, disant souvent avec l'apostre : le monde est mort et crucifié pour moy (2).

Que la foy est grande, Mrs, qui produit tant de mouvements, tant d'ardeur et tant de zèle pour la gloire de Dieu.

Il va s'embarquer à La Rochelle avec un courage intrépide. Rien ne l'estonne; il ne craint ny les fatigues d'une longue navigation, ny les dangers d'une mer agitée par les orages et par les tempestes. Luy parle-t

(1) - Si quis vult post me venire, abneget semetipsum - Mat. cap. 16.
(2) - Mundus mihi crucifixus est et ego mundo-Gal.cap.6.

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on des désers, des bois affreux de ces pays barbares, rebasse-t-il lui-même dans son esprit la faim, la soif, la nudité, les persécutions, les peines et les tourments gulil v doit endurer, il déclare que rien n'est capable de je détourner et qu'il ne s'estudie qu'à remplir les devoirs d'un véritable missionnaire. La foy vive qui l'encourage de plus en plus luy fait vaincre tous ces obsta - cles; elle lui découvrira les moissons qu'il doit recueillir les conquestes et les conversions qu'il doit faire dans le Canada.

Voilà, Mrs, quelle fut le foy de M. l'abbé d'Urfé. C'était une foy vive, agissante et féconde en bonnes oeuvres; il croyait un Dieu humilié et il s'anéantissait continuellement pour luy, un Dieu mortifié et, dans le sentiment du prophète, il se mortifiait tous les jours pour luy (1); il croyait un Dieu charitable et il donnait tout et abandonnait tout pour luy. Sa foy vive excita dans son coeur cette charité ardente qui fera la seconde partie de son éloge.

2me Partie.

La charité est une vertu absolument nécessai - re aux hommes apostoliques; c'est la principale que Jésus-Christ donne à ceux qui sont selon son coeur, et, comme nostre illustre abbé estait selon le coeur de Dieu

(1) - Propter te mortificamur totà die. - Psal. 43.

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bar sa foy vive, il estait aussy rempli d'une charité qui Je rendait naturellement tendre et sensible aux misères du prochain. Sa foy vive le fit agir par une charité si ardente que partout il ne respirait que la conversion des barbares. Elle le fit partir pour le Canada avec l'autori - té du souverain pontife et l'agrément du Roy. Il entra dans le vaisseau avec un empressement qu'on ne peut exprimer. Il alla d'abord porter aux Sauvages et aux Iroquois le nom et le royaume de Jésus-Christ. Pour cela il avait en mains la carte de ces pays barbares. Il régla tout ; il pourveut à tout avec une sagesse admirable La seule chose qu'il oublia fut sa qualité et sa personne.

Cette navigation de douze cents lieues qui dura trois mois et qui fut très pénible servit à ce grand homme de préparation et de disposition à l'oeuvre de Dieu qu'il allait entreprendre. Son zèle infatigable luy fit instruire les matelots, les soldats et tous ceux qui estaient dans le vaisseau; il se porta avec empressement à tous les offices de charité les plus humbles et les plus méprisables.

C'est luy, Mrs, qui prit soin des malades; il les servit et les consola avec une douceur digne d'admiration, persuadé qu'il estait que ses mains n'avaient été sacrées dans le sacerdoce que pour faire du bien aux pauvres qui sont les membres les plus chers de Jésus - Christ. Il se regardait tellement comme le serviteur de tous les autres, que, dans tout son voyage, il préféra les hôpitaux aux maisons d'honneur qu'on luy présentait. Il refusa avec humilité les officiers qu'on voulut luy donner pour le soulager dans ses plus grandes fatigues,

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disant qu'il estait venu comme Jésus-Christ pour servir et non pour estre servi (1).

Ceux qui ne voyaient rien de grand dans son équipage et dans sa suite découvraient je ne sais quoy de divin dans son humilité, dans sa charité et dans sa douceur. Toute sa personne et sa conduite estaient comme une voix charmante qui preschait continuellement la mortification de Jésus-Christ, la pureté des anges et le mépris du monde.

Ah! Mrs, qu'il se trouve peu de personnes de sa qualité qui ayme à s'abaisser et à vivre de la sorte; il est à craindre que cette humilité et cette modestie ne soient pas assez estimées dans ce siècle où l'on ne parle que de soutenir sa qualité, garder son rang, ménager son honneur et faire valoir son caractère, où l'on regarde le faste non-seulement comme permis, mais encore comme nécessaire, où l'on se fait plus respecter par les revenus que par les mérites et enfin où le ministre s'élève souvent en abaissant son ministère.

Dans le sentiment de saint Chrisostôme, il n'est rien au monde de si difficile que de gagner des âmes à Dieu. L'expérience nous prouve qu'il faut pour cela s'accomoder à l'esprit et au besoin d'un chacun. L'apôtre saint Paul nous enseigne que pour réussir dans un employ si relevé, il faut se réjouir avec ceux qui se réjouis

(1) - Non venit ministrari sed ministrare. -Math. cap.20.

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sent. pleurer avec ceux qui pleurent (1), estre infirme avec les infirmes, se multiplier en quelque façon par la charité, avoir autant d'esprit différent (2) qu'on a de personnes à convertir, et qu'enfin, pour prescher utilement la croix de Jésus-Christ, il faut la porter soimême.

Voilà, Mrs, le caractère d'un homme apostolique et le vray portrait de François de Lascaris d'Urfé. Il n'est pas plus tôt arrivé dans la ville de Québec, capi - tale du Canada, qu'il va se jeter aux pieds de Monsei - gneur de Laval, premier évesque de cette nouvelle France. Il lui présente son bref apostolique et luy sacrifie sa volonté par une obéissance aveugle qui dans le sentiment de Salomon remportera bientôt des victoires : vir obediens loquetur victorias.

Sa première mission dans le Canada fut de se rendre par le fleuve de Saint-Laurent de Québec à Montréal, où, après avoir appris le langage des Iroquois dans le séminaire de St-Sulpice sous la direction de M. Ollier qui en estait le supérieur, il ranima son zèle et poursuivit sa mission jusques au fort de Niagara sur le bord du lac de Fontario esloigné de six vingt lieues de la colonie française de Québec.

(1) - Gaudere cum gaudentibus, flere cum flentibus-Rom. cap. 12.
(2) - Spiritus multiplex - Sap. 7.

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C'est dans ce fort de Niagara et aux environs nostre missionnaire apostolique trouva des peuples si barbares et si grossiers qu'il fut obligé de les convaincre qu'ils estaient hommes auparavant que de les bersuader qu'ils devaient estre chrestiens.

Pendant que M. le comte de Frontenac gouverneur du Canada, soutenait la gloire du Roy son mais - tre par la grandeur et par la magnificence, nostre zélé missionnaire soutenait la gloire de Dieu par ses peines et par ses souffrances, pendant que l'un travaillait à rendre les armes de sa nation terribles à ces peuples barbares, l'autre essayait de leur rendre l'évangile de Jésus-Christ aymable par sa douceur et par son humilité (1).

Ah! Messieurs, qu'il faisait beau voir cet homme apostolique au milieu de ces pauvres sauvages le crucifix en main. Il les preschait, il les exhortait en leur langage. Il s'accomodait à leur esprit et à leurs besoins, il les embrassait, il les caressait pour gaigner leur amitié, pour leur donner la connaissance du vray Dieu, pour les baptiser et les admettre aux Sacrements.

Quand il s'agit de gaigner une âme à Dieu la charité n'oublie rien, elle souffre tout, elle soutient tout:

(1) - Discite à me quia mitis sum et humilis corde. - Math. cap. ij.

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omnia suffert omnia sustinet (1). Saint-Augustin nous abbrend que les plus grandes peines sont douces et agréables quand on ayme, non laboratur ubi amatur; c'est. Mrs. Sur ce principe que François de Lascaris d'Urfé pour s'acquitter de sa mission pénétra plus de soixante lieues de bois si affreux que le soleil a peine d'y porter sa lumière.

Il y chercha avec un zèle infatigable ces pauvres sauvages abandonnés, pour leur communiquer les lumières de la foy et l'ardeur de sa charité.

Ce fut dans ces bois de Niagara, où l'on l'avertit qu'une femme Iroquoise estait accouchée de deux fils, et qu'elle le demandait pour recevoir le sacrement de baptêsme. Il ne perdit pas un moment pour se rendre près d'elle. Il fit pour cela plus de sept lieues à pied sur des bois entassés les uns sur les autres et si pourris qu'à chaque pas il se serait précipité dans des abîmes effroyables, s'il n'avait esté soutenu par une providence particulière. Il n'avait qu'un seul valet de chambre qui craignant le danger avait peine à le suivre.

Il arriva enfin avec beaucoup de fatigue dans le lieu où Dieu l'appelait, et après avoir suffisamment instruit cette femme Iroquoise, il la baptisa et luy administra les sacrements. Il eut la consolation de la voir mourir chrestienne et de l'enterrer luy mêsme. Mais,

(1) - Corinth. cap. 13.

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hélas ! la joie fut bientôt changée en amertume. Cette bauvre femme laissa ces deux enfants à la mamelle et comme les Iroquoises ne nourrissent jamais les enfants des autres, crainte de prendre mal et de mourir, le père de ces deux enfants voulait luy-même les enterrer tout vifs avec leur mère, si nostre zélé missionnaire n'eût empêché une action si noire et si détestable. Cet homme incomparable se chargea de ces deux enfants; il les baptisa, il les nourrit avec du jus de pruneau qu'il avait conservé pour se soulager, il les fit porter à la colonie française, où l'on prit grand soin de les eslever. Peut-on voir une charité plus grande ?

Mais, MM., il n'en demeura pas là; son zèle s'augmentant de plus en plus (1), espérant d'en convertir d'autres, il s'enfonça plus avant dans les bois pour courir après ceux qui le fuyaient. Il y demeura pendant trois jours, perdu, abandonné de tous secours, lassé et fatigué du chemin, abattu par la faim et par la soif, il disait souvent avec l'apôtre : scio essurire et penuriam pati (2). Il y serait mort sans doute, si par un coup du ciel, il n'avait été conservé. Dieu le retira de ce danger la veille de St Martin et luy donna cinquante Iroquois qui ayant embrassé la foy de Jésus-Christ firent toute sa joie et toute sa consolation.

(1) - Zelo zelatus sum pro domino deo exercituum - L. Regum, cap. 19.
(2) - Ad Philip. cap. 12.

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Nous ne pouvons pas comprendre, MM.. combien nostre zélé missionnaire fit d'actes de vertus. combien d'actes de résignation à la mort et à la volonté de Dieu, pendant qu'il fut égaré dans ces bois.

Vous le savez, anges tutélaires de son coeur, vous qui avez esté les témoins de ses oraisons et de ses mortifications, dites-nous, je vous prie, ce que sa modestie et son humilité ont caché à nos yeux, combien de fois il a jetté des soupirs et versé des larmes, combien de fois il a eslevé sa voix, ses yeux et son coeur à Dieu, Vous le direz sans doute; sa conversation estait toute dans le ciel (1) et tous ses désirs pour la conversion des barbares.

Après sept années de fatigues dans la mission du Canada où ce grand serviteur de Dieu a vécu sans pain et sans vin, n'ayant d'autre nourriture que la simple subsistance des sauvages, il fut appelé en France, Le Roy pour l'y arrester luy fit l'honneur de luy donner le doyenné de la cathédrale du Puy ayant pris plaisir d'entendre de luy la relation de sa mission et la manière de vivre de ces pauvres sauvages.

Mais ce zélé missionnaire (2), qui préfévà it la conversion des barbares à toutes les dignités de l'E-

(1) - Conversatio autem nostra in coelis est. Philip.cap.3 (2) - Virtutibus est coactus ut ad regimen veniat - Grég. post. cap. 9.

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olise. ne sçavait s'il devait se cacher comme St Grécoire s'excuser comme St Ambroise, ou refuser comme St Bernard. L'obéissance fit violence pour un temps à con humilité (1). Ne pouvant plus soutenir le zèle qui le dévorait, il remercia humblement sa majesté. Il lui remit son doyenné et retourna avec empressement dans le Canada pour y continuer sa mission et ses conquestes.

Il s'embarqua une seconde fois à la Rochelle et, après douze cents lieues de navigation, il arriva heureusement à Québec, de là à Montréal, où il receut sa mission pour aller à la pointe de St-Louis dans des bois qu'il défricha luy-même. Il y planta la première croix, il y fit bastir une église, un presbytère et quantité de cabannes. Il y assembla un grand nombre d'Iroquois et de sauvages qu'il avait convertis. Il en fut nommé premier curé et en remplit les fonctions avec une charité infatigable. Ce fut, MM., dans cette pauvre paroisse que ce bon pasteur pour imiter le Sauveur de nos âmes exposa sa vie pour le salut de ses ouailles (2).

Car s'estant mis dans un canot qui est une espèce de bateau sur le fleuve de St-Laurent pour aller instruire les sauvages, il en fut repoussé par trente fuseliers Iroquois et par autant de barbares qui décharge-

(1) - Merebatur negando quod esse nolibat - Heron in Epitaph. Nep.
(2) - Bonus pastor dat animam suam pro ovibus suis - Joan. cap. 10.

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rent une gresle de balles sur sa personne, mais Dieu cui veille sans cesse à la conservation de ceux qui travaillent pour sa gloire ne permit pas qu'il y receut aucun mal.

Nous avons dans cette assemblée un homme digne de foy (1) qui l'accompagnant dans ses missions fût présent à cet événement si extraordinaire qui nous assure que Dieu fit pour lors une espèce de miracle en sa faveur et qu'il le remercia tous les jours de l'avoir préservé d'un si grand danger (2).

Les barbares et les sauvages s'estant rendu maistres de la pointe de St-Louis par la force des armes ce bon pasteur fut obligé de s'en retirer avec son troupeau et de se réfugier à la colonie française suivant l'exemple des plus saints pasteurs de l'église.

Voici, Mrs, un nouveau traict de son zèle infatigable, le scorbut, qui est un mal plus dangereux dans le Canada que la peste dans ces pays, s'estant répandu dans le fort de Chambly, cette place abandonnée des secours spirituels toucha si vivement M. l'abbé d'Urfé qu'il demanda d'abord sa mission pour y aller exercer sa charité. Il ne l'eut pas plutôt receut qu'il y coureut avec

(1)- C'est M. de la Motte homme de confiance de M. l'Abbé d'Urfé qui a eu l'honneur de l'accompagner dans ses missions.
(2) - Cùm autem persequentur vos in civitate istà, fugite in aliam.- Math. cap. 10.

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jove. Il v travailla avec tant de succès qu'il y convertit un grand nombre de sauvages à la foy de Jésus-Christ. Il aurait souhaité se multiplier en tous les lieux du monde.

Dieu qui l'avait préservé d'une infinité d'autres dangers le préserva encore du mal contagieux dans ce fort et lui conserva toujours une parfaicte santé.

Mais enfin après seize années de mission dans le Canada, la mesme providence qui l'y avait conduit le rappela en France. Il n'y fût pas plus tôt arrivé que le Roy connaissant son mérite luy fit l'honneur de luy donnerl'abbaye de Sarrasnont et deux mois après celle d'Uzerche pour l'approcher de Monseigneur l'évesque de Limoges son frère ayné qui a esté l'exemple des prélats de son temps, qui a fait des prodiges pendant sa vie et qui est mort en odeur de saincteté. Nostre illustre abbé demeura pendant trois années dans son abbaye d'Uzerche pour y procurer la réforme; mais n'ayant peu en venir à bout, après des peines et des fatigues inconcevables, il prit le pensée de retourner en Canada pour y continuer sa mission et pour y finir ses jours. Mais Dieu dont les jugements sont impénétrables et qui dispose toujours pendant que l'homme propose luy inspira heureusement pour nous d'apporter son zèle apostolique dans cette ville où il a consommé son sacrifice.

La charité qui est la reine des vertus régna toujours en souveraine dans son coeur. Vous le savez, Messieurs, par les témoignages particuliers qu'il vous en a donnés, disant souvent qu'il n'avait pas moins de zèle pour les chrestiens que pour les barbares. En effet, combien de fois avez vous vu ce zélé missionnaire pres-

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omenter ce bien public qui est l'ouvrage de Dieu qui fait l'honneur et le bonheur de cette ville.

Je passe sous silence une infinité d'autres actes de vertus, pour m'arrester seulement à ces actes héroïques d'une charité publique qu'on lui a veu faire dans cette ville (1).

Combien de fois l'a-t-on vu faire la cêne dans nos églises et laver les pieds aux pauvres suivant l'exemple de Jésus-Christ. Combien de fois l'a-t-on veu à genoux faire la prière dans la cour de son château, exposé aux injures du temps, au milieu d'un grand nombre de pauvres tant de la ville que de la campagne, qui le regardaient comme un autre sauveur de l'Egypte. Il leur distribuait abondamment du pain dans la cherté des vivres, après leur avoir faict la doctrine chrestienne; il les consolait, il les embrassait sans craindre ces souffles mortels qui portèrent dans presque tout le royaume une contagion qui causa plus de morts qu'on ne put guérir de malades. Que la foy est vive, Mrs, quand elle nous fait voir Jésus-Christ dans ces tristes objets qui n'inspirent d'eux-mêmes que l'horreur et la compassion ! Mais que la charité est héroïque, quand elle nous met au dessus des délicatesses de la nature et des frayeurs de la mort qui nous menace, lorsque nous nous efforçons de lui arracher ceux qu'elle est sur le point de nous enlever! Telle était, Mrs, la charité de nostre missionnai-

(1) - Exemplum dedi vobis ut quemadmodum feci, ita et vos faciatis - Joan, cap. 13.

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re abostolique. Il s'était faict une si longue habitude de tous ces soins héroïques que la charité rend aux pauvres malades dans les hôpitaux, qu'il avait entièrement vaincu sur ce point toutes les répugnances des sens et de la nature. Vous en savez, Mrs, parce que vous en avez veu plus que je ne puis vous en dire.

Sa maison estait réglée comme un séminaire. L'on n'y voyait ny meubles magnifiques ny curiosités superflues. Sa table était toujours assaisonnée de lecture spirituelle et ornée de l'exemple d'une grande frugalité et d'une saincte sobriété. Tout y portait à la piété et à la dévotion. Dieu vous a envoyé cet exemple de vertus pour votre propre salut; ne perdez pas le fruit de son zèle et de sa charité, s'il y a des sauvages qui n'en ont pas profité, j'espère, Mys, que vous en profiterez, que vous tâcherez de suppléer par vostre piété à ce qui manque à ses conquestes et au discours que je finis à son honneur.

Mes chères soeurs, cette obligation vous regarde particulièrement (1). Vous avez le bonheur de posséder les reliques et les cendres de cet illustre deffunct; je sais que vous conservez avec respect ce précieux dépost comme un monument éternel de sa charité pour vostre maison. J'ai lieu de croire qu'estant plus puissant dans le ciel qu'il n'a esté sur la terre, il vous en procuvera mille grâces et mille bénédictions, surtout si vous

(1) - En marge est écrit : Avis aux soeurs de l'hôpital de Baugé où M. l'abbé est inhumé.

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imitez sa foy vive et sa charité ardente dans les servi - ces et les secours que vous rendez continuellement avec édification aux pauvres malades de cette ville.

Vous avez veu, Mrs, cet illustre abbé quelques mois avant son décès comme un homme sur le bord de son tombeau portant la mort vivement peinte sur son visage, ne pensant qu'à paraître à chaque moment devant Dieu. Toutes les visites qu'il rendait estaient comme les derniers adieux qu'il faisait à ses peuples, ne leur parlant que des approches de sa mort, il leur disait avec l'apostre qu'il mourait tous les jours (1).

Il est souvent venu dans cette chapelle marquer luy-mesme le lieu de sa sépulture, disant avec le prophète que c'estait le lieu du repos qu'il avait choisi jusques au jour de la résurrection : Hoec requies mea, hic habitabo quonial elegi eam (2).

Quelques jours avant sa mort, il eut la consolation de recevoir la visite de Mr le marquis d'Urfé, son très cher et très honoré frère (3) qui, restant seul au monde de sa famille, renferme dans son illustre personne les vertus et les qualités les plus éminentes de ses ancêtres.

(1) - Quotidie morior - 1 Cor. 15.
(2) - Psal. 131.
(3) - En marge est écrit : Monsieur le marquis d'Urfé, menin de monseigneur le Dauphin.

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Si je ne craignais de blesser sa modestie et de m'éloigner de mon suject, je rappellerais icy ses rares talents qui luy ont procuré l'estime et la confiance de nostre incomparable monarque, non seulement par les employs dont il l'a honoré près la personne de Monseigneur le Dauphin, mais encore par les ambassades et les commissions les plus considérables aux cours des brinces et des souverains. Ce grand homme distingué par son mérite aussi bien que par sa naissance estait à Bourbon-les-Bains, occupé à la conduite glorieuse que Sa majesté luy avait donnée des personnes sacrées du Roy et de la Reyne d'Angleterre, leur rendant les mêmes office que l'ange à Tobie, lorsque par un coup extraordinaire de la Providence il apprit la maladie mortelle de nostre illustre deffunct. Sur cette triste nouvelle, après avoir pris congé du Roy, il se rendit en poste dans son château de Baugé et entra d'abord les larmes aux yeux dans la chambre de ce cher malade qu'il aymait si tendrement.

J'eus l'honneur, Mrs, d'estre présent à cette première entreveüe et témoin des soupirs de ces deux coeurs qui ayant toujours esté parfaictement unis redoublèrent leur affection dans ce triste événement.

Les ordres de Dieu appelaient le malade dans le ciel pour récompenser sa vertu et ceux du Roy pressaient ce digne ambassadeur de s'en retourner incessamment aux fonctions de sa commission. Tous deux également soumis et conformes à la volonté de Dieu s'embrassèrent pour la dernière fois d'une manière si tendre que tous ceux qui estaient à cette triste sépara-

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tion fondaient en larmes et admiraient la constance de cet illustre moribond, qui eslevant ses yeux au ciel sans jeter aucune larme surmontait par son amour pour Dieu celui qu'il avait pour son frère et oubliait à ce moment qu'il estait frère pour temoigner qu'il estait serviteur de Jésus-Christ, et qu'il ne respirait que pour le ciel (1). Il communia par viatique d'une manière si édifiante et donna sa bénédiction à tous ses peuples d'une affection si tendre que tous les assistants estaient en cris et en larmes voyant que la mort leur devait bientôt enlever leur père et leur protecteur.

Il souffrait avec peine qu'on employât les soins et les remèdes ordinaires pour lui procurer la guérison disant comme St-Paul : me voici à la veille d'offrir à Dieu le sacrifice de ma vie qui me donne moyen d'estre plut tôt uni à Jésus-Christ (2). Faut-il faire tant de choses pour un corps qui va bientôt devenir la proie des vers ! Mes enfants, ajoutait-il, en s'adressant à ceux qui le servaient, servez bien Dieu, il n'y a que le maistre qui puisse donner à vos services une digne récompense. Il regardait la mort d'un oeil tranquille. On le voyait dans un profond calme, au milieu des médecins alarmés et de ses domestiques troublés qui portaient tous sur des visages étonnés et dans des yeux baignés de larmes la

(1) - Ego enim jam delibor et tempus resolutionis instat . 2 Tim. 4.
(2) - Desiderium habens dissolvi et esse cum Christo . - Phil. 1 -

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crainte de la mort qui, malgré tous leurs efforts, allait bientôt le leur enlever. Chose admirable et qui fut une récompense anticipée de sa vertu, au lieu que pendant sa vie il avait toujours tremblé dans la veüe des jugements de Dieu, à la mort il ne pensa qu'à ses miséricordes.

Après avoir receu le sacrement de l'extrême onction, s'estre entièrement détaché des choses du monde et résigné à la volonté de Dieu, plein de confiance en sa miséricorde, accablé d'une maladie de six mois, il tomba enfin en l'agonie qu'il avait unie à celle de JésusChrist. Il employa dans cet état un reste de forces pour tourner sur Jésus-Christ ses yeux qu'il avait si longtemps fermés au monde.

Ce fut alors que, comme un soleil qui ramasse tous ses rayons dans son couchant, il excita dans son coeur mourant les actes de la foy la plus vive, de l'espérance la plus ferme et de la charité la plus ardente qu'il eût pratiquée pendant sa vie. Recevant en esprit de péni - tence le coup affligeant de la mort, il expirait dans son château de Baugé, âgé de soixante deux années, et rendit son âme à Dieu son créateur le dernier juin mil sept cent un.

Voilà, Mrs, comment est mort du sommeil des justes messire François de Lascaris d'Urfé aymé et regretté de tout le monde. Ce moment est fatal pour cette ville, Mrs, qui perd un puissant protecteur, mais heureux pour cet illustre deffunct. Nous avons lieu de

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croire qu'il a receu dans le ciel (1) le fruit de ses travaux apostoliques et la récompense de ses bonnes oeuvres qui l'ont canonisé par la voix du peuple.

Rappelez, Mrs, dans vos esprits cette foule de monde qui accompagnait cet illustre deffunct à son tombeau, les efforts que chacun faisait pour approcher son cercueil, pour toucher le précieux dépost de son corps, ses habits sacerdotaux, sa crosse et sa mitre abbatiale. N'avez-vous pas cru, Mrs, que c'était plutôt le triomphe d'un sainct qu'on honorait par une voix publique que la pompe d'un deffunct qu'on inhumait, si les pauvres qui s'y trouvaient en très-grand nombre ne vous eussent fait comprendre par leurs larmes pitoyables et par leurs cris excessifs qui interrompaient nos chants lugubres que c'estait le triste convoi de leur père et de leur bienfaiteur (2) ?

Pauvres de Baugé et des lieux circonvoisins, qui dans ces temps de misère trouviez en luy une ressource si prompte et si assurée pour vostre soulagement; vous vous ressentirez longtemps de cette perte, en gémissant dans l'attente incertaine des secours que la charité refroidie des chrestiens refuse si souvent à vos larmes.

(1) - Opera enim illorum sequuntur illos.- Apoc. 14 -
(2) - Non obtitus pauperum - Psal. 9.

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Et vous, Mys, qui cherchiez dans ce grand homme l'instruction la paix et la consolation, vous apprendrez à ne point appuyer sur des faibles roseaux qui se cassent tout d'un coup et sur des hommes mortels qui passent dans un moment et qui en mourant font mourir vostre joye et vostre espérance.

Si les premiers chrestiens passaient une partie de leur temps sur les tombeaux de leurs frères et sur des sépulchres des Sts martyrs, ne devons nous pas aller à leur exemple au moins pour un moment sur le tombeau de nostre illustre deffunct et lever la pierre qui le couvre pour considérer ce qu'il est, afin de nous ani - mer plus efficacement à devenir ce qu'il a esté. Mais pourquoy renouveler icy notre douleur par un spectacle si plein d'horreur, fermons les yeux sur un objet si triste. Portons toutes nos réflexions sur les paroles que j'ai choisies pour mon texte, ne pensons qu'à sa foy vive et à sa charité ardente dont la mémoire ne cessera jamais parmi nous et sur quoy le temps n'a point de prise. Imitons ses vertus et ses exemples et apprenons à vivre et à mourir comme luy en Jésus-Christ, nostre Seigneur qui vit et règne aux siècles des siècles. Ainsy soit-il.

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EPITAPHE
gravée sur le tombeau de Mr l'abbé d'Urfé inhumé dans l'église de l'hôpital de la ville de Baugé en Bresse le ler juillet 1701.

Plae et perpetue memoriae
Hic jacet illustrissimus
et reverend. dominus D.
Franciscus de Lascaris d'Urfé
presbiter Regii coeunobii
Ste Petri d'Uzerche,
abbas dignissimus
apud Canadenses,
missionarius apostolicus
hujus et loci pauperum
pater beneficus,
omnibus carus et lugendus
cujus memoria
in benedictione est
obit die ultima junii
1701

Les armes de Mr l'abbé d'Urfé
sont avec la crosse et la mitre
au bas de l'épitaphe.


References





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Guido Socher,

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